Grossesses précoces : les confidences de Souda, l’adolescente primipare

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Les grossesses précoces sont un problème de société. En dépit des multiples actions entreprises par les politiques, le phénomène persiste. Récit de vie d’une fillette  »malheureuse ».

Souda, comme nous l’appelons depuis notre rencontre lors de cette sombre soirée, est une fille frêle, flottante dans une silhouette élancée. Son teint noir masquait un corps habillé d’un body jaune et, la jeune aventureuse sur le sable mouvant de ses jours pénibles s’était nouée le pagne depuis le cou comme au petit matin d’un décembre d’harmattan. Peut-être tentait-elle de fuir les yeux inquisiteurs de sa société, de cacher au monde sans humanité son forfait intenable sous le régime d’une société d’intolérance.  Dès notre apparition, Souda s’était en effet montrée très craintive, recroquevillée derrière son pagne satin pour nous ne laisser voir que sa tête hissée au bout du pagne noué à son cou. Peut-être nous prenait-elle pour ces gendarmes des jugements hâtifs des causes perdues ! Mais la mine sombre de Souda ce jour-là justifiait son choix de se retrancher à cet endroit isolé, elle l’était puisque son aire désespérée insinuait qu’elle n’attendait rien ou pas grand-chose d’un monde qu’elle fuyait, dans ces coins perdus de son quartier devenu subitement hostile à ses yeux. En tout et pour tout, notre future amie et nous voulions qu’elle le fût à ce moment-là pour se sentir réintégrée à un monde qui juge sans comprendre, qui condamne sans procès face à qui pourtant arrive à tous le plus banalement possible.

L’amie fortuite d’un soir s’était résolue à jeter un regard furtif face à notre sourire improvisé séducteur avant de répondre très timidement à notre « bonjour ma copine ». La voix enrouée, la gorge serrée, nouée à la fois dans une certaine colère qu’elle avait de la peine à cacher ! Cacher ! On eut l’impression que l’existence de cette fille  »malheureuse » à tort consistait désormais à se cacher à cause de ce qu’elle cachait, le fruit de son  »délire » légitime de sa tendre adolescence. Peut-être son amertume, et nous la vivions avec elle en tentant de communier à sa douleur perceptible, sa plus profonde amertume était de se voir condamnée avant même d’être écoutée, jugée, comprise pour n’avoir rien de pire que ces gamins de Gounghin et de Tampouy qui marchent sur les toits de l’échangeur de l’Ouest et du Nord mettant en péril leur avenir, l’espoir des parents et l’avenir du pays ! Mais qu’avait-elle fait de plus que ces bandits qui tuent chaque nuit dans les recoins retranchés de nos villes abandonnée ? Visiblement, Souda s’était constituée prisonnière d’une société violente et son tort, d’avoir embrassé sans se retenir celui devant qui son cœur palpitait aux bruits de sa voix lorsqu’elle répondait à son invitation dans son bicoque d’étudiant débrouillard. Peut-être qu’elle s’était condamnée elle-même sans se dire que chacune de nous a vécu ces amours interdits, ces amours qu’on sait presque toujours enivrants et qui commencent dans les profondeurs de la cachoterie pour finir par se sublimer au grand jour comme si elles tombaient tout droit du ciel un vendredi à 11h.

Le courant a fini par passer entre notre nouvelle copine et nous-même au détour de quelques conversations de prise de contact. Souda s’était finalement mise à dérouler le tapis noir de ses jours difficiles. Derrière une voix tremblotante, elle décrivait une famille modeste de laquelle elle était issue, (d’un père qui exerce dans le secteur informel et d’une mère ménagère) dans l’arrondissement N° 3 de la ville de Ouagadougou au secteur N°16. C’est à la limite qu’elle ne regrettait pas le jour où le soleil s’était malencontreusement levé sur elle. Oui, parce qu’elle est tombée enceinte au cours de l’année 2021 à l’âge de 16 ans quand elle faisait la classe de 4e dans un lycée privé dans son arrondissement non loin de la cour familiale.

Ce jour-là, pendant que les nuages nourrissaient le côté nord de son quartier, le temps dessinait l’une des occasions les plus rares pour la consommation des fruits interdits. Et pendant que le ciel s’évertuait à ouvrir ses vannes pour inonder le quartier de Tampouy, tout s’était passé comme le jour le plus solennel de sa tendre adolescence. Alors que depuis le début de l’année, comme dans un conte de fée, comme dans un rêve, ses yeux s’ouvrirent à ce garçon élégant promis pour vivre un radieux avenir, elle s’était laissée enlacer par ce jeune universitaire élégant, au regard doux jusqu’à ce qu’elle se réveilla tout heureuse sur l’épaule de celui qui promis de l’aimer jusqu’à la fin de ses jours. Mais ce sont les jours qui ont suivi qui lui ont rappelé la vallée de larmes qu’elle allait traverser lorsque ses vomissements commencèrent quelques semaines plus tard. Elle a été dès lors contrainte de jouer d’abord à l’école buissonnière, allant se cacher dans le taudis de son désormais amant pour tenter de se faire consoler avant de finir par démissionner des cours sans crier gare devant sa situation qui devenait de plus en plus intenable.  Bref, elle a été victime d’une grossesse précoce dont l’auteur était un jeune étudiant en première année histoire et archéologie, à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Ce dernier n’était pas en mesure de subvenir à leurs besoins.

Dès la découverte de la grossesse, ce conjoint improvisé et son épouse de circonstance avaient décidé, naïvement peut-être ou mordus par la morale religieuse ou encore par peur de commettre un dégât regrettable, de s’assumer. Souda avait alors aménagée sous le toit des parents en essayant de camoufler sa grossesse autant qu’elle pouvait mais comment cacher une plaie qui pourrit au jour le jour ?  Sa cachette à découvert fut de courte durée et c’est à 10 semaines d’aménorrhées, que les parents ont commencé à émettre des soupçons en l’occurrence le père.

Souda regrette toujours cette situation qui a rendu sa vie pénible.

Elle les raconte avec ses propres mots : « Pendant ma période de cachette, mon père disait qu’il avait des pressentiments car des phénomènes bizarres se passaient au sein de ma famille. Mon père qui tombait rarement malade est devenu subitement maladif. Il faisait des accidents régulièrement. Son activité était au ralenti. Il faisait des cauchemars. C’est ainsi qu’il fit appel à ma mère et lui demanda de dialoguer avec moi car il sent qu’il y a quelque chose qui ne va bien et tout ce qui lui arrivait n’est pas anodin. Il a dit à ma mère que je dois être enceinte. Ce que ma mère a carrément refusé d’accepter car elle me prenait pour une gamine, une innocente, et vierge. Face au refus catégorique de ma mère, il a souhaité qu’elle m’amène à l’hôpital pour des examens. J’ai été prévenu que je devais recueillir mes urines pour l’examen. En voulant tromper la vigilance de mes parents, le jour de l’examen j’ai menacé mon petit frère de recueillir ses urines pour moi. Et il exécuta sans broncher. A l’hôpital, le test de grossesse était négatif. Et ma mère a poussé un ouf de soulagement. Je voyais la joie en elle. Au fond de moi, j’avais de la peine pour elle. Avec les résultats en main, elle était pressée de le montrer à mon père. Malgré le résultat négatif mon père était toujours dans le doute car rien n’a changé dans sa situation toujours les mêmes cauchemars, les maladies, etc. C’est ainsi qu’il m’appelait pour me soudoyer et j’ai fini par avouer la grossesse et l’auteur de la grossesse. Même après, que je leur ai avoué, mes parents, disaient que j’ai été victime de viol car ils sont convaincus que j’étais innocente. Pourtant à mon jeune âge, j’étais active sexuellement.  Et mon père rentra dans une vive colère et piqua une crise qui lui passa après quelques jours de maladie. Après avoir recouvert la santé, il cherchait désespérément, l’auteur de la grossesse qui se trouvait être le voisin venu pour poursuivre ses études », a-t-elle relaté.

Et de renchérir : « Ma mère connaissant le tempérament de mon père, avait alerté le jeune homme pendant sa période de crise de quitter le quartier pour un temps parce que s’il se rétablit, il va s’en prendre à lui. Effectivement, après sa guérison, son arme blanche en main, il est allé chercher mon copain en vain ».

Toujours dans la narration, elle nous fait savoir : « Mon père me sonna de quitter la cour familiale et c’est ainsi que j’ai rejoint l’auteur de la grossesse. Pendant cette période, je n’avais pas accès au domicile. Si je ressentais l’envie de voir ma mère, mes frères et sœurs, je me cachais la nuit pour venir aux alentours de la cour et ils sortaient me rejoindre. Pendant cette période, j’ai eu le sentiment d’avoir tout raté ma vie. On peinait à vivre puisque mon copain était un étudiant, il faisait des cours d’appui. On vivait avec le peu qu’il gagnait. C’est ma mère qui venait à mon secours en m’offrant des vivres et de l’argent issu de son petit commerce. Même l’accouchement, ce sont mes parents qui ont supporté les charges. Toutefois, Souda a relevé l’absence d’éducation sexuelle au sein de la cellule familiale. Aucun de mes parents n’a jamais parlé de sexualité ni des méthodes contraceptives avec moi si ce n’est qu’à l’école ou entre amies. Ils me considéraient encore comme une petite fille, donc il n’était pas opportun de le faire moment », a-t-elle laissé entendre. Et de rappeler : « Si j’étais bien aguerrie sur le sujet de la sexualité certainement que j’aurai évité cette situation. Malheureusement je suis tombée enceinte et j’en ai souffert énormes et je souffre toujours ».

Par ailleurs, elle nous a confié que ses parents ont demandé à ce que le père de l’enfant vienne récupérer l’enfant et ce qui a été fait après son sevrage. « Présentement, j’ignore où mon enfant se trouve. Son père m’avait dit qu’il l’amènerait au village auprès de sa sœur mais aux dernières nouvelles, il me fait savoir qu’il n’est pas là-bas. J’ai envie d’appeler pour entendre la voix de mon enfant mais hélas. Je n’ai aucune nouvelle de mon enfant, je me culpabilise à chaque fois que je pense à elle. Comment peut-on séparer un bébé de 18 mois de sa mère? » se lamentait-elle. L’adolescente soutient que sa génitrice après avoir constaté sa tristesse, a décidé de la soutenir dans cette idée de récupérer son enfant. Cependant, son père demeurait son cauchemar. « Il a dit que si on récupère l’enfant et quelque chose lui arrivait, nous allons assumer les conséquences », a-t-elle avoué d’un air triste avec une gorge nouée.

Elle nous apprend que sa relation entre le père de l’enfant et elle bat de l’aile. « Je ne suis plus avec le père de l’enfant parce qu’il veut que je vienne vivre en concubinage avec lui avant qu’il m’entame les démarches. Et mes parents ont catégoriquement refusé cette option. Ils lui ont dit que s’il veut de moi, qu’il vienne officialiser notre relation et il a refusé. Depuis lors, chacun est sur sa position », a-t-elle confié.

En outre, elle nous avoue que : « Le fait de tomber enceinte a rendu ma relation caduque avec mes parents. Après mon accouchement ma mère a plaidé auprès de mon père pour que j’intègre le domicile familial. Actuellement, je vis toujours en famille, mais je fais mes propres dépenses notamment mon petit-déjeuner, mon habillement, mon savon, santé. J’ai abandonné mes études depuis 2021. Mais je compte m’inscrire dans une école de formation en couture très prochaine. Pour l’heure, je vends de la friture devant la cour familiale ».

Du reste, elle dit ne pas en vouloir à ses parents car elle est consciente que ses parents avaient placé leur confiance en elle. « Je suis l’ainée des filles, j’ai deux petites sœurs, mes parents voulaient que je sois un repère pour mes sœurs. Pour éviter une grossesse précoce, je conseillerai les adolescents et jeunes de pratiquer l’abstinence. A défaut de l’abstinence, qu’elles prennent attache avec un service de santé ou un centre d’écoute pour jeunes afin de bénéficier des conseils et des sensibilisations sur les différentes méthodes contraceptives pour ne pas tomber dans la même situation que moi », a-t-elle conseillé.

L’agent de santé Edwige Ouédraogo

Nèmatou Bissiri, mère de 4 enfants et marié depuis plus de 16 ans a avoué ne pas parler de la sexualité avec ses enfants. « Dans notre société, la sexualité est un sujet tabou. Et je trouve mes enfants encore jeunes. C’est pour moi une honte d’aborder ce sujet. Si je le faisait, j’aurai  l’impression que je leur ouvre la porte à une vie sexuelle autorisée. Je suis consciente de l’importance de l’éducation à la sexualité. Elle est plus que nécessaire pour les jeunes et adolescents. Mais actuellement, je ne suis pas en mesure d’évoquer ce sujet avec eux. Leur père m’a conseillé de ne pas en faire un tabou car avec la technologie notamment les téléphones, ils peuvent s’éduquer eux-mêmes afin de la découvrir des pires manières », a-t-elle déclaré. Cependant, elle a rassuré s’y prendre pendant qu’il est temps.

Inoussa Ouédraogo, étudiant en Master en fiscalité et gestion d’entreprise à l’ENAREF, trouve opportun de parler de la sexualité aux adolescents et jeunes. « A leur jeune âge, les parents doivent parler ou expliquer à l’enfant le développement ou le fonctionnement de son corps en l’occurrence son organe génital. Je pense que l’éducation à la sexualité limite les dégâts chez eux. Il faut aborder des conséquences liées à des rapports sexuels précoces, il faut orienter les jeunes, il faut insister là-dessus. Moi je ne ferai pas de la sexualité un tabou avec mes enfants », a-t-il dit.

Selon, le formateur en santé sexuelle et reproduction, Joseph Ido, les statistiques sont inquiétantes. Au Burkina Faso, sur 100 femmes, 9%  ont eu leur premier rapport sexuel avant l’âge de 15 ans et plusieurs causes sont à l’origine de la sexualité précoce. Il s’agit entre autres du : mimétisme dans les choix des partenaires sexuels, la pauvreté, la pression des pairs ou des copains/copines pour avoir des rapports sexuels comme des preuves d’amour, la crise d’adolescence, la consommation de l’alcool et des drogues, les rumeurs et mythes autour de la sexualité, le manque de cadre d’échange sur la sexualité avec les adolescent(e)s dans les cellules familiales, les technologies de l’information avec des conséquences sur la vie de ces jeunes.

Agent de santé au Centre hospitalier régional de Fada, de passage à Ouagadougou, Edwige N. Ouédraogo a indiqué que le 5e Recensement général de la population et de l’habitation (RGPH), du Burkina Faso indique que la population est en majorité jeune dont 45,3% ont moins de 15 ans et 32,6 % des jeunes ont entre 15-34 ans. Ce qui explique le taux élevé des grossesses précoces. Selon elle, chaque année, des jeunes sont victimes de grossesses non désirées. Et de décliner d’autres facteurs qui contribuent au nombre élevé des grossesses précoces notamment les pesanteurs socio-culturelles, la non fréquentation des centres de santé, les préjugés, etc. « Souvent, nous entendons dire qu’une jeune fille qui n’est pas mariée ne doit pas utiliser des méthodes contraceptives. Si la jeune fille adopte une méthode contraceptive, elle ne pourra plus procréer », a-t-elle signifié. Pour elle, les parents dès le bas âge doivent parler de la sexualité à l’enfant. « A l’âge adolescent et jeune, ils doivent réellement s’impliquer à l’éducation à la vie familiale. Il faut amener les parents à communiquer avec eux afin qu’ils ne s’auto-éduquent pas. Parler de la sexualité aux adolescents et jeunes, ce n’est pas les pervertir », a exhorté Edwige Ouédraogo.

C’est pourquoi, elle a sollicité l’implication de tous notamment des parents car l’éducation sexuelle n’est pas l’affaire des gouvernants seuls, mais de tous. Pour juguler ce phénomène, elle a recommandé de renforcer la sensibilisation par des actions continues qui puissent permettre de réduire ce phénomène à travers l’éveil des consciences, clarifier les valeurs sur certains préjugés qui sont un frein au processus.

L’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF) qui est une ONG nationale qui intervient dans la santé sexuelle et reproductive, planification familiale mène plusieurs activités. En 2022, l’ABBEF a réalisé dans quelques régions (Centre, Centre-Nord, Plateau-Central, etc.) des campagnes de sensibilisation allant dans ce sens. 660 pairs éducateurs ont été formés sur la santé sexuelle et reproductive, et 107 108 jeunes ont bénéficié de sensibilisation également. A l’occasion, des journées de la planification familiale, elle a fait des émissions, des capsules, etc.

Cet article entre dans le cadre des activités du programme « Youth in Action Transforming Gender Norms », financé par International planned parenthood federation (IPPF) à travers le fonds stratégique « subvention de consortium Stream2 ». Un projet mis en œuvre à travers un consortium de six pays (le Niger, le Mali, l’Inde, la Tunisie, le Togo, et AfriYan en tant que réseau des jeunes actifs) dont le lead est assuré par l’ABBEF à travers le Burkina Faso. Pour se faire, une formation de 48h a été initié le jeudi 13 juillet 2023 à Ouagadougou, à l’endroit d’une quinzaine de journalistes sur le contenu de l’éducation à la vie familiale (EVF) en vue de la réalisation d’émissions et ou de reportages favorables en la matière.

Kiswendsida Myriam OUEDRAOGO

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