Malgré une législation favorable aux droits sexuels et reproductifs, le Burkina Faso enregistre des cas d’avortements, le plus souvent de manière clandestine. Les complications issues d’avortements non sécurisés constituent la 4e cause de mortalité maternelle dans le pays. Selon certains agents de santé, le principal défi pour juguler le phénomène réside dans l’éducation sexuelle des adolescents. A ce titre, toute occasion est bonne pour interpeller des pères ou mères de famille sur leur responsabilité. Reportage.
L’apatam érigé en face du service de maternité du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Nioko 1 à Saaba, commune rurale située à la sortie Est de Ouagadougou, enregistre une affluence inhabituelle ce matin. Depuis 8h, des mères de famille ont pris le rang, leurs nourrissons dans les bras ou attachés au dos. Elles sont là, soit pour la pesée, soit pour la vaccination des bébés.
Chaque jeudi est jour de visite post-natale au sein de cette formation sanitaire. Mais ce 7 octobre 2021, la responsable du service de maternité, Valentine Yelbi a décidé de saisir l’occasion pour discuter avec les mamans d’un sujet assez sensible : l’avortement.
L’agent de santé est consterné par les jeunes filles, scolarisées pour la plupart, que son service enregistre de plus en plus en situation de grossesse non désirée. Elle assiste souvent, impuissante, à des drames d’adolescentes qu’une bonne information aurait permis d’éviter. Pour elle, c’est sur la conscience des parents, qu’il faut agir, leur donner la bonne information afin qu’ils prennent leur responsabilité vis-à-vis de leurs enfants.
Il est 10h lorsque la sage-femme entre donc sous le hangar, alors que les cris de douleur d’enfants troublent la tranquillité de l’espace. Valentine Yelbi sollicite l’attention de la quarantaine de mamans assises de part et d’autre sur les bancs, occupées à calmer ou à bercer leurs tout-petits et attendant leur tour de visite.
Bien qu’elle ne maitrise pas la langue, dame Yelbi choisit de s’adresser aux femmes en mooré, la langue la plus parlée au sein de la population du centre. Ses paroles sont donc hésitantes, ce qui amuse certaines femmes et détend un peu le climat.
La sage-femme est assistée par une collègue qui motive les femmes à participer à la discussion et reprend dans un mooré correct, les propos mal exprimés de la responsable.
Briser les tabous
« Je veux vous parler de l’avortement ce matin. Est-ce que vous savez ce que c’est ? », lance Valentine Yelbi après une brève introduction. Une certaine gêne est perceptible chez ses interlocutrices. Ce que la sage-femme s’empresse d’effacer.
« Nous sommes entre nous femmes, il n’y a pas de honte, ni de tabou. Le sujet est très important et nous devons en parler pour se donner des idées, c’est pourquoi je vous en parle », rassure-t-elle. Une voix lui répond : l’avortement est le fait de mettre fin à une grossesse.
Le sujet est planté et l’agent de santé est assuré de bénéficier de l’attention de ces paires d’yeux fixés sur elle. « Selon vous, cette pratique est-elle bien ? », poursuit-elle. Des murmures désapprobateurs se font entendre.
La sage-femme abonde dans le même sens et rappelle que la pratique est interdite par la loi, tout contrevenant s’expose à des poursuites pénales pouvant conduire en prison.
« Mais il arrive qu’on soit confronté à des situations où on ne peut pas garder la grossesse. La loi même autorise qu’on interrompe une grossesse lorsque ces cas se présentent. Savez-vous dans quelles circonstances s’agit-il ? », nouvel instant de silence à la suite de cette question. Mais l’agent de santé insiste.
Une voix résonne finalement avec une certaine assurance : « l’avortement est autorisé en cas de malformation de l’enfant dans le ventre, lorsque la grossesse est issue d’un viol ou d’une relation incestueuse ou encore si la santé de la mère est en danger. » Clarisse Zongo s’est exprimée en français. La sage-femme demande qu’elle soit applaudie et reprend la réponse dans son mooré approximatif.
Viol, inceste, malformation, santé de la mère
Mme Yelbi ajoute des précisions sur les périodes pendant lesquelles l’avortement légal peut survenir. « En cas de malformation du fœtus ou de menace pour la santé de la mère, l’avortement peut intervenir à n’importe quel stade de la grossesse, dès que la malformation ou la menace sanitaire est découverte. Mais pour le viol ou l’inceste, l’avortement ne peut intervenir que dans l’intervalle des 14 premières semaines de la grossesse et requiert une procédure judiciaire avant de pouvoir être pratiqué ».
A la suite de ces précisions, Valentine Yelbi se prête aux questions de son auditoire. Bienvenue Bangré est la première à lever la main. « Peut-on avorter lorsqu’on se rend compte qu’on est enceinte alors qu’on a un bébé qu’on allaite ? », demande-t-elle avec une petite voix. La réponse de la sage-femme est sans ambages. L’exemple évoqué ne fait pas partie des cas légaux.
Elle précise qu’une grossesse peut aller à son terme même si la mère tient un nourrisson. Mais le mieux, suggère-t-elle, c’est que les couples adoptent une méthode contraceptive pour s’épargner les désagréments d’une grossesse non planifiée.
Une seconde question s’adresse à la professionnelle de santé : quelle prise en charge réserve-t-on à une femme qui a tenté d’avorter clandestinement et a subi des complications ? Valentine Yelbi se réfère encore aux règles qui encadrent sa profession.
« Nous sommes tenus de gérer la situation d’urgence qui est de sauver la vie de la femme avant de poser des questions sur les conditions de l’avortement », explique-t-elle. Mais elle rappelle que l’avortement demeure interdit en dehors des quatre conditions énumérées par la loi, mais surtout qu’il demeure une cause de mortalité maternelle lorsqu’il est pratiqué en dehors des services de santé.
« …apprenez-leur à connaître leur corps… »
Ne recevant plus de questions, Valentine Yelbi revient sur les motifs et l’intérêt de cette séance de sensibilisation improvisée. Beaucoup de femmes perdent la vie dans des avortements non médicalisés alors qu’elles étaient éligibles à un avortement sécurisé, explique-t-elle. Mais surtout, beaucoup de morts auraient pu être épargnées si les victimes avaient adopté des méthodes contraceptives et une sexualité responsable permettant d’éviter des grossesses non désirées.
La sage-femme insiste aussi sur la responsabilité individuelle de chaque parent dans l’éducation sexuelle de ses enfants.
« Discutez avec vos enfants, apprenez-leur à connaître leur corps. Intéressez-vous à la sexualité de vos filles dès qu’elles voient leurs menstrues. Assurez-vous de connaitre leurs cycles et donnez-leur des conseils sur les méthodes contraceptives. C’est la seule façon de vous assurer que vos enfants ne vous ramèneront pas de grossesse non désirée compromettant leur scolarité », conseille l’agent de santé au bout de 30 minutes d’échanges.
Les femmes l’écoutent en silence, certaines dodelinant de la tête, l’air songeuse. Clarisse Zongo reconnait la pertinence de ces propos.
L’étudiante avoue n’avoir jamais reçu de conseil ou d’information en matière de sexualité à son adolescence dans la cellule familiale. C’est à travers des discussions entre camarades qu’elle a appris à découvrir son corps.
Aujourd’hui, mariée et mère d’un petit garçon, Clarisse Zongo se décrit comme une femme ouverte d’esprit, réceptive, et surtout résolue à ne mettre aucun tabou dans l’éducation de ses enfants en matière de sexualité.
Mamadou OUATTARA