Grossesses dans les établissements du Centre-Ouest : le laxisme de certains parents, un facteur aggravant la situation

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La région du Centre-Ouest fait face au phénomène des grossesses en milieu scolaire. Pour l’année scolaire 2020-2021, les données partielles rendues publiques par la direction régionale des enseignements post-primaire et secondaire font froid au dos. La région a enregistré 1205 cas de grossesses dans 381 établissements publics et privés. Dans ce lot, la province du Sanguié bat le record avec 668 grossesses suivi du Boulkiemdé. Qu’est-ce qui justifie cette situation ?

 

Assanata Bayili (nom d’emprunt) est élève en classe de 3e dans un lycée de la place à Réo dans la province du Sanguié. Agée de 17 ans, en début d’année, elle ne s’attendait pas à contracter une grossesse en cours d’année. « Quand je suis arrivé du village, nous avons pris une maison à Réo afin de poursuivre les cours. Mais à un certain moment, on avait plus de quoi manger. Et quand j’avais mes règles, je n’avais même pas d’argent pour m’acheter du coton », nous raconte-t-elle l’air déconcerté. La jeune Assanata a donc accepté les avances d’un jeune enseignant également sur place en service à Réo. C’est ce dernier qui s’était substitué aux parents de l’élève qui va finir par l’enceinter. « Au début, on avait des rapports protégés. Mais par la suite, il n’a plus voulu se protéger. Mais je n’avais pas le choix. Je me suis laissé aller », confie l’élève. Elle avoue que ses parents ne l’ont pas fait des remontrances. « Ils ont juste demandé à connaître le jeune et s’assurer qu’il accepte de porter la paternité », se souvient l’écolière.

Si le manque de moyens financiers justifie la situation d’Assanata Bayili, Augustine Bado (nom d’emprunt), confie avoir été encouragée par ses parents. En classe de 2nde, elle poursuivait une scolarité normale et nourrissait l’espoir de poursuivre ses études pour décrocher son baccalauréat. Mais, elle confesse que ses parents trouvaient qu’elle était majeure et la laissait sortir. A ce rythme, elle ne manquait aucune manifestation ou sortie entre amies. « Maman connait mon copain et il venait régulièrement à la maison », indique la jeune fille. Elle tombe enceinte vers février 2021 de son ami, un employé de commerce. « J’ai eu beaucoup de problèmes parce que je suis tombée malade au début. Je n’ai pas pu terminer le deuxième trimestre. Je suis donc restée à la maison », soutient la fille de 19 ans. Elle précise que ses parents lui ont prodigué des conseils quand ils ont appris sa situation. A l’entendre, sa maman estime qu’une grossesse n’empêche pas de poursuivre ses études.

Sita Ouattara a souhaité que les établissements initient des activités de sensibilisation sur la sexualité.

Comme les deux scolaires dans la province du Sanguié, Séraphine Zongo (nom d’emprunt) est en classe de 5e dans un lycée privé de Koudougou. Orpheline de père, elle vit au quartier Burkina dans la Cité du Cavalier rouge avec sa génitrice âgée de 52 ans. C’est en janvier 2021 qu’elle découvre qu’elle est enceinte alors qu’elle venait de souffler sa 16e bougie. « Ma mère ne m’interdisait pas de sortir. Donc, nous sortons entre amies et passions du temps avec des garçons qui sont dans la même école. Un soir, mon petit ami qui est en classe de Terminale A m’a fait venir chez un de ses amis dont les parents avaient voyagé. C’est ce jour-là que nous avons commencé à avoir des rapports sexuels », raconte la jeune fille quelque peu perturbée. Elle soutient que son papa était furieux et menaçait de la chasser du domicile familial n’eut été l’intervention d’une tante.

Egalement dans la même situation, Mariette Tiendrebéogo (nom d’emprunt) âgée de 17 ans est en classe de 4e dans un Lycée public du Boulkiemdé. Elle accuse ses amies de l’avoir induite en erreur. « J’avais peur au début quand mon copain voulait avoir des rapports sexuels. Je refusais. Mais à chaque fois, j’en parlais avec ma camarade Gisèle. C’est elle qui m’a conseillé de le faire pour garder mon ami. Elle disait même qu’elle a des rapports sexuels réguliers avec son petit ami », avoue l’adolescente d’une voix tremblotante. Elle confesse avoir perdu sa virginité au cours de cet acte sexuel qui a occasionné cette grossesse prématurée. Aujourd’hui, ces parents l’ont chassée du domicile familial et elle a trouvé refuge chez une de ses tantes au quartier Dapoya de Koudougou. De ses témoignages, son copain, un fonctionnaire de l’éducation nationale, n’a pas voulu d’elle chez lui sous prétexte qu’il est déjà en couple.

« Certains parents sont favorables aux grossesses… de leurs filles »

Le problème des grossesses non désirées en milieu scolaire reste préoccupant dans la région du Centre-Ouest. En effet, selon les données de la direction régionale des enseignements post-primaire et secondaire, au cours de l’année scolaire 2020-2021, 400 grossesses ont été enregistrées dans 176 établissements de la province du Boulkiemdé, 668 grossesses dans 76 établissements du Sanguié, 68 grossesses dans 77 établissements de la Sissili et 69 cas dans 52 établissements du Ziro soit un total de 1205 grossesses pour la région en une seule année scolaire. Ces grossesses sont enregistrées dans les classes de 6e à la Terminale des différents établissements.

Par exemple, dans la province du Sanguié qui détient la palme d’or, les classes de 4e et de 3e sont celles où il y a eu plusieurs cas. Il s’agit respectivement de 143 et 208 grossesses dans l’intervalle entre octobre 2020 à avril 2021. « Tous ces chiffres ne sont pas exhaustifs. Il y a des établissements qui refusent de transmettre les données. Ce sont surtout les établissements privés. Dans le public, les responsables coopèrent généralement et nous donnent les chiffres sur les cas de grossesses », a confie la responsable du service de la promotion de l’éducation inclusive et l’éducation des filles et du genre à la direction provinciale des enseignements post-primaire et secondaire du Sanguié, Sita Ouattara. « Certaines filles que nous avons approchées ont dit que c’est le repos prolongé lié à la pandémie du Coronavirus qui a fait qu’elles se sont adonnées à ces pratiques qui ont conduit aux grossesses. Elles prétendent qu’elles se sont trop reposées et s’ennuyaient », indique Mme Ouattara. Elle précise que le plus grand nombre de cas se trouve dans le lycée provincial de Réo, les lycées départementaux de Didyr, Godyr et Dassa.

Les acteurs de l’éducation de la province du Sanguié sont préoccupés par la situation.

La situation est alarmante, avoue-t-elle. Etant en contact régulier avec les filles, elle révèle que plusieurs raisons justifient les nombreux cas de grossesses en milieu scolaire dans la province du Sanguié. Sont de ces raisons la fuite de responsabilité de certains parents, la pauvreté, le manque d’éducation sexuelle et l’orpaillage.

« C’est principalement le contexte social qui justifie ces forts taux de grossesses en milieu scolaire dans les établissements du Sanguié. Parce que certains parents sont favorables aux grossesses de leurs filles. Selon les informations que nous avons recueillies auprès de certains chefs d’établissements, les parents eux-mêmes ne s’opposent pas aux grossesses de leurs enfants. Pire, ce sont eux qui les y encouragent. Certaines filles ont témoigné avoir été encouragées par leurs parents à tomber enceinte. Ce qui fait qu’elles se sentent à l’aise une fois qu’elles découvrent leurs grossesses », soutient la responsable du service de la promotion de l’éducation inclusive et l’éducation des filles et du genre à la direction provinciale des enseignements post-primaire et secondaire du Sanguié.

Aucune action de sensibilisation prise par les établissements

A propos des différentes actions entreprises pour endiguer le phénomène, il ressort des dires de Mme Ouattara qu’au niveau des établissements, aucune action n’est planifiée. Cependant, il y a des associations qui apportent leur soutien, foi de Sita Ouattara. Elle a cité l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF) et d’autres structures associatives comme Pointoua qui, avec sa troupe théâtrale parcoure la province pour sensibiliser les populations sur la planification familiale. Le président de Pointoua, Bassié Joseph Badolo a d’ailleurs condamné ce fort taux de grossesses et dénoncé le mutisme de l’autorité.

De son avis, les grossesses non désirées sont dues au laxisme et la non condamnation de la grossesse de la jeune fille par les mœurs dans la province. « Dans le temps, la jeune fille qui tombe enceinte est vite envoyée chez une tante qui lui trouve rapidement un mari, car elle ne devrait plus rencontrer son père. Aujourd’hui pas de blâme. Après une colère éphémère, tout revient au calme. Au Sanguié plus qu’ailleurs nous avons trop d’événements de réjouissance des festivals chaque semaine, des 21 chaque trois semaines, des nuits culturelles… où la joie, l’alcool et le sexe riment parfaitement. Aucun organisateur n’interdit l’accès aux mineurs et les résultats après les festivals sont des IST et des grossesses », indique-t-il. Et d’ajouter : « de ma mémoire de sensibilisateur, je n’ai pas encore vu ni un maire, ni un député, encore moins un ministre ou même le Président de la République évoqué publiquement le cas des grossesses précoces comme un problème sérieux à résoudre. On se contente seulement de jouer au thermomètre qui constate la température mais ne fait rien pour la changer. Qu’on se rende à l’évidence, les enfants sont en danger, notre société aussi ».

Le président de Pointoua, Bassié Joseph Badolo en pleine séance de sensibilisation sur la planification familiale.

Avec son association Pointoua, Bassié Joseph Badolo a déjà parcouru 20 établissements scolaires depuis 2016 où par le biais du théâtre et d’émissions radiophoniques en lyélé et en français, a apporté sa touche pour l’éveil des consciences sur le phénomène. De son opinion, pour mettre fin aux grossesses, il faudra que les ressortissants de chaque village aient un regard sur leurs écoles. Il suggère également de trouver des moyens ou des stratégies pour passer dans chaque classe et communiquer sur le problème, impliquer en plus des conseillers d’éducation les professeurs principaux pour veiller sur chaque classe.

M. Badolo pense que chaque acteur doit s’investir dans la sensibilisation et en soutenant les associations qui font de ce combat leur cheval de bataille. Dans le même ordre d’idées, Sita Ouattara souhaite la prise de conscience des parents dans l’éducation sexuelle de leurs enfants. Elle pense également que les établissements devraient initier des programmes ou des sessions de sensibilisation des élèves afin de limiter ces nombreux cas de grossesses précoces en milieu scolaire. A l’entendre, la promotion des méthodes contraceptives en l’occurrence le bon usage du préservatif peut contribuer à éviter les grossesses et les maladies sexuellement transmissibles.

La directrice régionale des enseignements post-primaire et secondaire du Centre-Ouest, Bernadette Zongo/Nikièma estime que le module de SVT qui parle de la sexualité dans toutes ces facettes contribue à la sensibilisation des élèves. Elle estime que les parents doivent s’impliquer activement pour que des solutions durables soient trouvées aux problèmes des grossesses en milieu scolaire.

A Koudougou dans le Boulkiemdé, en plus de l’ABBEF, c’est l’Union des religieux et coutumiers du Burkina pour la promotion de la Santé et le développement (URCB/SD) qui multiplie les actions de terrains. L’association fait également le plaidoyer pour convaincre les autorités à prendre le problème à bras le corps. « La problématique des grossesses non désirées et précoces est de nos jours un sujet d’actualité. Le phénomène s’accroît au fil des années malgré les multiples efforts consentis pour éradiquer ce fléau », réagissait le président du Conseil d’administration de l’URCB/SB, Naaba Kango de Zagtouly au cours d’une session d’échanges sur les grossesses non désirées en juillet dernier à Koudougou. Dans la foulée, l’URCB/SD s’est engagée dans le cadre du projet Faith+Family, à œuvrer, à travers le lobbying et le plaidoyer, afin d’obtenir des décideurs, des solutions qui permettront d’atteindre l’objectif zéro grossesse en milieu scolaire.

Gaspard BAYALA

(Collaborateur)

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