Le président Paul Biya vient d’autoriser l’ouverture d’une enquête portant sur l’utilisation de l’argent octroyé par les bailleurs de fonds pour financer la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Plusieurs ministres sont auditionnés. L’affaire constitue peut-être le plus important scandale de détournements massifs de ces dernières années.
Selon nos informations, plusieurs membres du gouvernement ont été discrètement auditionnés cette semaine à leur cabinet par des enquêteurs du Tribunal criminel spécial (TCS), une juridiction compétente en matière de répression de la grande criminalité économique et financière. Pour élaborer leurs questionnaires, les enquêteurs disposent du rapport d’audit la Chambre des comptes de la Cour suprême, portant sur l’année 2020, dont une synthèse a été adressée au chef de l’État en mars dernier.
Ainsi, 23 départements ministériels se sont partagé 128,2 milliards de F CFA de dotations, soit 71 % des 180 milliards de la dotation globale du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus. Saisis par les auditeurs, seuls 19 ministères ont répondu à la demande d’informations à la fin septembre 2020.
Ayant travaillé avec les données mises à leur disposition, les magistrats ont fait un inventaire des irrégularités, recensant 30 fautes de gestion. Ils ont recommandé l’ouverture de 10 procédures concernant des faits susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale.
Sous la pression des bailleurs de fonds, le président Paul Biya a alors dessaisi le gouvernement et confié la gestion de l’argent destiné à lutter contre le Covid-19 à une task force logée à la présidence. Le chef de l’État a également enjoint le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, de faire auditer son utilisation dans les organismes concernés par le Contrôle supérieur de l’État (Consupe). Le 29 mars, Ngoh Ngoh s’est exécuté : « J’ai l’honneur de vous répercuter les hautes directives du chef de l’État, vous prescrivant de faire accélérer la mission d’audit des fonds Covid-19 dont le rapport faciliterait la conclusion avec le FMI d’un nouveau programme économique et financier », écrit-il ce jour-là au Consupe.
Dans le même temps, le principal collaborateur du président a demandé au ministre de la Justice, Laurent Esso, de diligenter sans délai des poursuites judiciaires contre les auteurs, co-auteurs de malversations relevées par la Chambre des comptes dans son rapport d’audit. Mal lui en a pris, Laurent Esso l’a renvoyé dans les cordes, en exigeant de son successeur au secrétariat général de la présidence les « pièces d’investigations » issues la Chambre des comptes.
Autrement dit, il n’est pas de la compétence de la présidence d’instruire le ministère de la Justice de l’ouverture d’une enquête sur la base d’un audit effectué par une chambre de la Cour suprême. En effet, selon la loi, cette prérogative est dévolue, en l’occurrence, à la Chambre des comptes. Ambiance.
Pour rajouter la pression populaire à la lutte d’influence opposant les cadors du gouvernement, le rapport a fuité le 19 mai au soir, ulcérant les Camerounais dont le pays est actuellement frappé par une nouvelle vague de contaminations. Trois acteurs sont principalement visés par le rapport des magistrats : Malachie Manaouda, le ministre de la Santé, Mohamadou Dabo, un homme d’affaires, et Madeleine Tchuente, la ministre de la Recherche scientifique.
Source : Jeune Afrique