Le Congrès argentin a adopté mercredi 30 décembre la loi légalisant l’avortement, après un vote des sénateurs en faveur du texte. Ce vote a eu lieu après plus de douze heures de débat, a annoncé la présidente du Sénat Cristina Kirchner.
Foulards, drapeaux et masques verts. Il était un peu plus de 4 h du matin quand une foule compacte a laissé éclater sa joie place du Congrès. Une majorité de femmes, dont de très jeunes filles qui avaient passé la nuit sur place, mais aussi des figures du mouvement féministe qui luttaient depuis vingt ou trente ans pour la légalisation de l’avortement.
« Je suis heureuse, très heureuse, explique Noelia Jasmin, 23 ans, au micro de notre correspondante, Aude Villiers-Moriamé. On attendait ce vote avec beaucoup d’impatience et enfin, il est arrivé ! On savait que l’IVG serait légalisée, depuis l’an dernier on se disait « en 2020, ce sera légalisé ». De la part du gouvernement, c’était une promesse de campagne que de présenter ce projet de loi, et elle a été tenue, ce qui nous satisfait. Ce vote représente davantage de liberté pour les femmes, la possibilité de choisir la vie qu’elles veulent. Je suis très émue ».
Pour les Argentines, et beaucoup d’Argentins, c’est historique. Déjà approuvé par les députés le 11 décembre, le texte, qui autorise l’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à 14 semaines de grossesse, a été adopté avec 38 voix pour, 29 contre et une abstention. Au Sénat, seulement quelques sénateurs étaient présents, la plupart débattant par visioconférence en raison de la pandémie de Covid-19.
Cette fois-ci, au fur et à mesure qu’avançait le débat, on sentait que les foulards verts allaient gagner, d’autant que des parlementaires considérés jusque-là indécis ou qui n’avaient pas fait connaître leur position, se manifestaient en faveur de l’avortement. Désormais, celui-ci sera légal et gratuit sans restrictions jusqu’à la 14ème semaine de grossesse pour toutes les femmes à partir de 13 ans.
Jusqu’ici, l’avortement n’était permis en Argentine qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, selon une loi datant de 1921. Alors que les députés avaient adopté le texte par 131 voix pour, 117 contre et six abstentions, le vote du Sénat, réputé plus conservateur, semblait loin d’être acquis. En 2018, il avait rejeté par sept voix un texte similaire dans un pays encore très catholique et profondément divisé sur la question. « Cette loi n’oblige pas à avorter, elle ne promeut pas l’avortement, elle lui donne seulement un cadre légal », a déclaré au cours des débats le sénateur membre de la majorité Sergio Leavy.
Le président de centre gauche Alberto Fernandez, au pouvoir depuis fin 2018, avait promis pendant sa campagne de soumettre à nouveau la légalisation de l’IVG aux parlementaires. « Je suis catholique, mais je dois légiférer pour tous, c’est un sujet de santé publique très sérieux », a fait valoir récemment le chef de l’État. Mais tous les sénateurs de sa majorité ne sont pas favorables au texte.
Ce vote est une grande victoire pour les féministes argentines, qui ont su mener ce combat habilement, à l’extérieur et à l’intérieur du Parlement, en dépassant les clivages politiques traditionnels. Sur les 38 voix pour, 26 viennent de la majorité, 12 de l’opposition.
« Sénateurs, c’est maintenant »
Malgré la pandémie de Covid-19, plusieurs milliers d’Argentins s’étaient rassemblés à proximité du Parlement pour exprimer leur soutien ou leur rejet du texte, avec force banderoles, musique et des écrans géants transmettant les débats en direct. « Sénateurs, c’est maintenant ! » pouvait-on lire du côté des pro-IVG. « Nous sauvons deux vies », proclamaient les anti-IVG.
L’Eglise catholique et les protestants évangéliques, opposés au texte, avaient lancé un appel à « s’unir pour implorer le respect et le soin de la vie à naître », avec une journée de jeûne et de prière. Les pro-IVG, ralliés autour de la couleur verte, ont fait une intense campagne sur les réseaux sociaux. En particulier la campagne pour un avortement légal, sûr et gratuit, qui regroupe plus de 300 organisations féministes, déjà très mobilisées en 2018.
Selon le gouvernement, entre 370 000 et 520 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année dans le pays de 44 millions d’habitants, où 38 000 femmes sont hospitalisées pour complications lors d’avortements clandestins. Pour tenter de convaincre les sénateurs de voter le texte, ce dernier incluait la possibilité pour les médecins de faire valoir leur « objection de conscience ».
RFI