La pandémie de Covid-19 a replacé dans le débat public la question de la prévention à travers les gestes barrières, la vaccination ou encore les tests de dépistage. Avant que les vaccins contre la Covid-19 ne soient disponibles, la stratégie de prévention contre le virus avait comme fondements la sensibilisation des populations pour le respect des gestes barrières, l’identification rapide des symptômes et l’isolement des potentiels cas.
Du fait de cette sensibilisation massive partout dans le monde, le port du masque, jadis consacré au personnel médical, s’est démocratisé et systématisé. Il en est de même pour l’utilisation, plusieurs fois par jour, du gel ou liquide désinfectant à base d’alcool. Cette sensibilisation massive avait même eu pour résultat l’arrêt de la mythique poignée de main dans les pays africains où cette forme de salutation est profondément ancrée.
En 1948, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définissait la prévention comme « l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps ». Ces mesures peuvent aller de la vaccination à la sensibilisation des populations ou encore la mise en place de centres d’information et de dépistage de certaines maladies sur toute l’étendue du territoire national.
Des politiques nationales de sensibilisation encore trop souvent basées sur la vaccination
Nombre de pays de la région ont centré leur stratégie de prévention des maladies autour de la vaccination, qui pourtant n’est qu’une parmi tant de méthodes de prévention. Méthode qui, à elle seule, peut avoir des résultats très limités. Au Bénin par exemple, tous les ans, 4000 nouveaux cas de tuberculose sont diagnostiqués causant plus de 300 décès. Ces données sont difficilement compréhensibles, la tuberculose étant une maladie qui dispose d’un vaccin bien connu.
L’Enquête démographique et de santé (EDS) réalisée en Guinée 2018 a révélé que la couverture vaccinale au niveau national est « faible et ne progresse pas ». Seuls 24 % des enfants de 12-23 mois avaient reçu tous les vaccins de base du Plan Élargi de Vaccination – PEV avec d’importantes disparités entre les milieux et régions de résidence. En milieu urbain, un tiers des enfants sont complètement vaccinés contre un quart en milieu rural (21%). À Conakry, la capitale, le niveau de couverture vaccinale complète n’est que de 37 %.
Cela met en lumière les limites existantes aussi bien dans la mise en œuvre de politiques nationales de vaccination que dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de sensibilisation communautaire informant et invitant les populations à se prémunir contre les maladies.
Certes, les « campagnes » de vaccination sont généralement accompagnées de « campagnes » de sensibilisation incitant les populations à se rendre dans les centres de vaccination. C’est peut-être là que se situe le problème. L’activité de sensibilisation ne devrait pas se limiter à des campagnes qui ont un caractère récurrent mais ponctuel. La communication autour des activités, des habitudes et des gestes de prévention doit être continue dans les écoles, les centres de santé, les associations de parents d’élèves, de jeunes, de femmes, dans les milieux religieux, etc. En outre, elle doit porter sur tous les moyens de prévention des maladies et ne pas se limiter à la vaccination.
Si pour certaines maladies telles que le tétanos, la tuberculose, les différents types d’hépatites, la rougeole, entre autres, les vaccins ont été découverts et sont généralement administrés gratuitement aux populations sous l’impulsion de l’OMS ou d’autres organisations ou fondations très impliquées dans la santé publique en Afrique, d’autres maladies telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires ou encore les maladies sexuellement transmissibles (MST), entre autres, sont de très grands tueurs sur le continent et ne disposent malheureusement toujours pas de vaccins. Pour le VIH par exemple, les dernières statistiques font état de près de 5 millions de personnes vivant avec le VIH en Afrique de l’Ouest en 2020, dont 200.000 nouvelles infections et 150.000 décès.
Dans le cas de ces maladies, la seule prévention possible reste la sensibilisation directe auprès des populations. Il est fondamental que les populations comprennent, et ce dès le bas âge, que certaines maladies sont évitables, et qu’elles peuvent et doivent adopter les bons comportements afin de se donner de bonnes chances de les éviter.
Dans ces bons comportements, on peut retrouver deux éléments essentiels sur lesquels insister dans les messages de sensibilisation : une alimentation saine et une activité sportive. Au-delà de leur aspect crucial dans la prévention des maladies, ces éléments jouent un rôle essentiel dans le maintien d’un bien-être physique et mental.
La sensibilisation communautaire, un puissant levier dans la lutte contre les maladies
Selon le rapport de l’OMS sur l’état de la santé dans la région africaine, les systèmes de santé en Afrique sont peu performants et n’atteignent que 49 % des résultats qu’ils pourraient réaliser. Face à ce constat, le Think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, WATHI, dans son Mataki intitulé « Comment améliorer le fonctionnement des systèmes de santé en Afrique de l’Ouest au bénéfice des populations ? », recommande de mettre en place une politique préventive de lutte contre les maladies au cœur du système de santé. Cela diminuerait l’incidence de certaines maladies et réduirait donc la pression sur les structures de santé qui, pour la plupart, ne sont pas en mesure d’assurer des soins décents et de qualité aux patients.
Lors d’un entretien accordé à WATHI, Daouda Diouf de l’ONG Enda Santé, basée à Dakar au Sénégal, affirmait : “Il est très important de prévenir et de mobiliser les communautés autour des problèmes de santé […]
La préservation de la santé doit être un des éléments intégrés comme élément d’éducation dès l’école. Il faut le faire aussi dans les écoles coraniques et même au-delà, l’intégrer dans la formation des groupements de femmes et d’autres structures sociales pour que, dans l’éducation du Sénégalais, on puisse ériger la santé comme un élément très important ».
Pour y parvenir, il faudrait, entre autres mesures, inclure la prévention des maladies dans les programmes scolaires de l’école maternelle à la fin des études secondaires et s’assurer de la formation préalable de tous les enseignants dans ce domaine. Dans le même sens, il faudrait élaborer des documents explicatifs, succincts en mots et images à l’attention des parents qui sont les premiers éducateurs, et distribuer ces documents dans les centres dédies à la prévention et dans les centres de santé, mais aussi prévoir des visites régulières des agents de santé préventive dans les écoles afin d’appuyer de façon concrète les cours d’éducation en santé et en prévention.
De plus en plus, à l’ère du tout digital, exacerbée par la pandémie de Covid-19, les campagnes de sensibilisation sont conçues pour une mise en œuvre de plus en plus digitale, notamment sur les réseaux sociaux. Cependant, dans un contexte africain en général et ouest-africain en particulier, où les taux de pénétration de l’internet (42% en janvier 2021, selon HootSuite et We Are Social), et l’accès à l’électricité (53% en 2019 selon la Banque mondiale) sont parmi les plus faibles dans le monde, il est primordial de maintenir la diffusion des messages de prévention. Pour ce faire, il est nécessaire de privilégier plusieurs options et canaux de communication avec ou sans Internet (la télévision, les radios communautaires, les messages sms et autres options sans internet via les mobiles simples qui sont très populaires y compris dans les zones reculées).
Il est tout aussi important que cette diffusion de messages de prévention se fasse dans les langues officielles, mais aussi et surtout dans les langues et dialectes locaux. Sur les 7000 langues et dialectes recensés au niveau mondial, près de 3000 sont parlés en Afrique. Il n’est évidemment pas possible de traduire tous les contenus de sensibilisation dans toutes les langues et dialectes des pays ouest-africains, mais il est pertinent de sélectionner les plus répandus dans chaque pays et de rendre ces contenus disponibles dans ces langues et dialectes.
Pour conclure, il est urgent de repenser l’allocation budgétaire en matière de santé publique en considérant la prévention comme une composante à part entière des politiques nationales de santé publique au même titre que la composante curative (médicaments, structures de soins, professionnels de santé etc.).
Les décideurs doivent absolument se pencher sur une politique préventive plus diversifiée, en maintenant certes les efforts en cours autour de la vaccination contre les maladies, mais aussi et surtout en mettant en place une stratégie régionale puis nationale à long terme de sensibilisation des populations, dès le plus jeune âge, à travers différents canaux, dans différents milieux et dans différentes langues.
Dan-Viera da Costa
Ancienne chargée de Plaidoyer du Think Tank WATHI