Au Mali, la milice d’auto-défense Dan Na Ambassagou constituée de chasseurs traditionnels dozos, que l’État malien avait pourtant officiellement dissoute l’année dernière, demande aux autorités maliennes de transition, dans une vidéo enregistrée le 16 décembre, de renforcer la présence de l’armée dans le pays dogon. Elle lance même un ultimatum au gouvernement. Un message véhément qui traduit aussi un certain affaiblissement.
Hache sur l’épaule et lunettes de soleil sur le nez, Youssouf Toloba s’adresse directement au président de la transition Bah N’Daw, qu’il accuse d’abandonner le pays aux terroristes. Le chef militaire de la milice Dan Na Ambassagou (« les chasseurs qui se confient à Dieu » en langue dogon) reproche à l’armée malienne d’avoir déserté le cercle de Bankass après l’attaque du camp de Sokoura, où 11 soldats ont été tués par AQMI au mois d’octobre, et lance un ultimatum : si les militaires ne reviennent pas d’ici le 20 décembre, il rejoindra personnellement les rangs des djihadistes, ou ceux des indépendantistes de l’AZAWAD.
Provocation
Une provocation à comprendre, bien sûr, au second degré, puisque ces groupes sont ses ennemis jurés : jamais Youssouf Toloba ne souhaiterait les rejoindre, et jamais ces groupes ne l’accepteraient en leur sein ! Surtout, ces affirmations comportent leur lot de contre-vérités : non seulement l’armée malienne n’a pas déserté la zone après l’attaque de Sokoura, mais elle y a même mené une vaste opération contre-terroriste au cours de laquelle les soldats maliens ont d’ailleurs été accusés, par des élus locaux et des associations de défense des droits de l’homme, d’exactions commises avec l’aide de chasseurs dozos liés à Dan Na Ambassagou.
Affaiblissement
Surtout, selon plusieurs chercheurs spécialistes de la zone qui suivent de près les activités de cette milice, et qui préfèrent s’exprimer de manière anonyme, cette prise de parole masquerait une forme de désarroi. Si Dan Na Ambassagou a longtemps été soutenue par les autorités maliennes, au point de jouer un rôle de supplétif de l’armée, cette milice est aujourd’hui très affaiblie.
Par l’action des groupes djihadistes d’abord, qui lui ont infligé « une série de revers ». Par les autorités ensuite, qui ne lui témoignent plus, officiellement, le même soutien que par le passé. L’actuel ministre de la Sécurité, le colonel Modibo Koné, l’un des vice-présidents de la junte qui a mené le Coup d’État du 18 août dernier, est même un ennemi personnel de Youssouf Toloba, qu’il avait directement combattu il y a deux ans, lorsqu’il était en poste dans le centre du pays. À l’époque, le colonel Modibo Koné avait même fait brûler une centaine de motos appartenant à Dan Na Ambassagou, puis des combats avaient directement opposés ses soldats aux chasseurs de Toloba, qui avaient même interpellé les autorités pour exiger sa mutation ! « La nomination du colonel Koné au poste de ministre a fait beaucoup réagir dans les milieux dogons proches de Dan Na Ambassagou », note à ce sujet un observateur averti.
L’année dernière, le gouvernement a officiellement dissous Dan Na Ambassagou. Une annonce rejetée par la milice et qui n’a jamais été suivie d’effet, mais à partir de laquelle le soutien affiché de l’État s’est détérioré. Même si des collaborations ponctuelles entre l’armée et les chasseurs dozos continuent d’être rapportées et documentées.
Défections
Enfin, le mouvement fait face à une série de défections récentes. Certains de ses cadres, et beaucoup de ses sympathisants, préfèrent en effet adhérer à des accords de paix locaux, conclus entre chasseurs dozos et groupes djihadistes dans le centre du pays (en particulier dans le cercle de Koro, mais aussi à Douentza ou Bankass, selon les sources interrogées). Parmi les chasseurs traditionnels de la zone, de plus en plus déserteraient ainsi les rangs de Dan Na Ambassagou pour rejoindre des mouvements plus « originels » – c’est la traduction littérale de « Dan Na Antem », un mouvement dozo concurrent – préférant traquer le gibier sans interférer dans la vie politico-sécuritaire malienne. Ce qui est la vocation initiale des chasseurs traditionnels.
S’il n’existe aucun chiffre précis, les chercheurs interrogés estiment qu’« à son firmament », il y a quelques années, Dan Na Ambassagou – et son chef militaire Youssouf Toloba – pouvaient mobiliser plusieurs centaines d’hommes, « peut-être même 1 000 ou 2 000 ». Des chasseurs dozos, mais aussi des membres de comités de surveillance et d’auto-défense du pays dogon, constitués pour faire face à la menace des combattants jihadistes, prêts à le suivre. « Aujourd’hui, il ne contrôle plus grand monde sur le terrain », estiment unanimement les sources contactées, qui voient cette vidéo comme une tentative, sans doute maladroite, de relancer sa coopération avec les autorités de Bamako, mais aussi de mettre la pression sur les cadres dogons de l’armée malienne.
Ogossagou
Dans un rapport d’experts publié en août dernier, les Nations unies rappellent que Dan Nan Ambassagou « a été répertorié par la Division des droits de l’homme et de la protection de la Minusma comme ayant commis des violences et des atrocités contre d’autres communautés dans le centre du Mali, parfois avec l’assentiment et le soutien des autorités locales. Accusée d’avoir tué plus de 150 civils dans le village d’Ogossagou le 23 mars 2019, la milice a été officiellement dissoute le lendemain par le Conseil des ministres malien, mais a refusé de se conformer à cette décision et a continué de bénéficier de l’aval d’un certain nombre de dirigeants locaux. »
De nombreuses organisations, à commencer par Human Rights Watch, reprochent aux autorités maliennes non seulement d’avoir utilisé, voire créé, cette milice, mais de ne pas avoir enclenché de procédure judiciaire à l’encontre de ses membres. A commencer par son chef militaire Youssouf Toloba, qui demeure libre de ses paroles et de ses mouvements.
RFI