Dans ce texte qui suit, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Newton Ahmed Barry fait le point de son mandat de 5 ans (2016-2021) à la tête de l’institution chargée de piloter les élections au Burkina Faso.
La transition avait institué un mot d’ordre slogan : « Plus rien ne sera comme avant ». En prenant la tête de la CENI, en ce moment précis de l’histoire, nous savions aussi que ce slogan de la transition s’appliquait à la CENI et à ceux qui avaient la responsabilité de la diriger.
Le président de la CENI avait donc l’obligation d’indiquer aux acteurs principaux du processus électoral et aux citoyens Burkinabè les actions qu’il envisageait de conduire pour assurer des élections libres et transparentes. Il fallait subséquemment consacrer la CENI comme arbitre « Impartial et crédible, entièrement sous le sceau de la loi ». Pour ce faire nous avons produit un document cadre que nous avons intitulé :
« Notre Mandat à la CENI : 2016-2021 ».
Les actions du mandat :
Nous avons conduit 2 types d’actions :
1) Les reformes structurantes en vue de la soutenabilité du coût des élections et l’amélioration du processus électoral
2) La conduite professionnelle des actions électorales et l’amélioration des conditions sociales des travailleurs.
- Les Reformes structurantes :
Les élections démocratiques sont adossées sur deux piliers : la qualité du processus qui doit être libre, juste et transparent et son coût qui doit être soutenable pour les deniers publics.
Sur le premier point, le processus électoral Burkinabè a enregistré des progrès, ce qui lui vaut une reconnaissance au niveau international. Mes prédécesseurs à la tête de la CENI, Moussa Michel Tapsoba et Me Barthélemy Kéré ont fait un excellent travail pour améliorer la qualité du processus. On doit les en féliciter. C’est pourquoi du reste, nous avons baptisé la plus grande salle de réunion de la CENI « Salle Moussa Michel Tapsoba ».
Sur le second point : La soutenabilité du coût des élections, il y avait un travail à faire. Ce fut la préoccupation de notre mandat.
Quand on regarde la structure des coûts des élections, l’enrôlement des électeurs, le traitement des résultats et leur transmission constituent les postes budgétaires les plus chers, plus de 40% du coût des élections.
En investiguant les meilleures pratiques électorales à travers le monde, il est possible, tout en tenant compte de nos réalités, de ramener ces coûts à moins de 10% des coûts actuels des élections.
Nous avons donc avec l’appui de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) construit une alternative au mode actuel d’enrôlement des électeurs qui s’il avait été adopté aurait ramené le coût total de l’enrôlement des électeurs de 2020 de 33 milliards à moins de 7 milliards.
Le système que nous avons acheté à THALES nous coûte environ 20 milliards.
Le système que nous proposons pour le remplacer nous coûte seulement 300 millions de francs CFA. Au-delà d’être moins cher, ce système est construit entièrement par nos jeunes ingénieurs et informaticiens Burkinabè. Il nous permet d’être définitivement indépendants des multinationales de l’Identification.
Le système d’enrôlement actuel (celui de Thales) nous coûte, dans sa mise en œuvre, à chaque opération d’enrôlement (en considérant maintenant la diaspora) environ 10 milliards.
Le système de remplacement que nous proposons, avec la plateforme Multicanal, va nous coûter la première année de sa mise en œuvre, autour de 5 milliards. Puis les années suivantes elle va nous coûter zéro franc. Parce que une fois la constitution du fichier réalisée, l’enrôlement devient sur le fil : « quand un jeune de 18 ans fait sa CNIB, le système le réfère automatiquement à la CENI qui l’enrôle, s’il le désire ». Cette opération coûte zéro franc.
Les avantages :
➢ Le Burkina va économiser des dizaines milliards de francs CFA.
➢ Le fichier est à jour à tout instant, puisque sa mise à jour est quotidienne. Les élections deviennent faciles quels que soient les types : élections de fin de mandat normal ou élections de situations exceptionnelles.
Avec les économies réalisées : Nous proposons au gouvernement :
Primo ; de rendre gratuite la première CNIB pour les 18 ans. Selon nos calculs voilà ce que cela va coûter au contribuable :
CNIB gratuit pour les 18 ans : 1,5 milliards par an soit 6 milliards sur un quinquennat. En rappel avec le système d’enrôlement actuel, la révision du fichier électoral nous revient, tous les 5 ans entre 10 et 40 milliards selon que nous renouvelons les KITS et les logiciels ou pas.
Secundo : rendre gratuit le renouvellement des CNIB, en année électorale. Avec la moyenne journalière de production de CNIB par L’ONI de 12.000 CNIB, cela va revenir grosso modo à 7,2 milliards en année électorale y compris la gratuité des nouveaux 18 ans. Une telle opération va avoir un impact multiple : pour les élections avec l’amélioration des inscrits sur le fichier électoral. Pour l’Etat-Civil et l’identification des citoyens et enfin pour la planification du développement.
Réforme du mode de transmission des résultats :
Le système actuel de transmission des résultats est construit en usant du VSAT avec des relais paraboliques dans 367 communes. Il nous coûte environ 1,2 milliards par élection. Sur le cycle électoral (Couplées Présidentielle-Législatives et municipales) environ 2 milliards.
Pour les élections couplées de novembre dernier, en recourant simplement aux lignes spécialisées et cryptées des opérateurs nationaux, nous avons ramené ces coûts à 80 millions de francs. Les résultats ont été excellents. N’eut été l’imposition de la compilation manuelle à la dernière minute, nous aurions pu, comme cela se fait dans les démocraties matures, publier les résultats à Jour « J » + 1. Par extrapolation sur le cycle électoral la transmission des résultats va nous coûter finalement 160 millions au lieu de 2 milliards. Le gain est énorme.
Voilà la substance des reformes que nous envisagions. Nous n’avons pas pu hélas les conduire toutes à bon terme. Pour la centralisation des résultats, c’est fait. Mais pour le mode d’enrôlement des électeurs c’est en standby. Mais malgré les difficultés, nous avons pu construire les infrastructures qui les rendent opérationnalisables si nous avons un consensus des acteurs.
- La conduite professionnelle des actions électorales et l’amélioration des conditions sociales des travailleurs.
Nous avions à conduire, la révision du fichier électoral, la constitution du fichier électoral des Burkinabè de l’extérieur, la reprise des municipales en 2017, les élections couplées de novembre 2020.
1) Fichier électoral des Burkinabè de l’extérieur et leur vote
Toutes les équipes qui nous ont précédé ont buté sur la mise en œuvre du vote des Burkinabè de l’extérieur.
Nous avons pu le réaliser. En proposant d’abord une révision du code électoral qui rationnalise le processus à l’extérieur. Il fallait proposer des critères stricts qui rende l’opération réalisable et soutenable financièrement. Avec l’immatriculation obligatoire et le seuil de 500 immatriculés, nous avons rendu possible l’organisation du vote des Burkinabè de l’extérieur. Nous attendions au minimum 1,5 inscrits pour l’extérieur. Finalement il eut que 23 000 inscrits. Les raisons de cette situation sont multiples. Maintenant que les passions sont retombées, il devrait être possible d’organiser un débat constructif sur le vote des Burkinabè de l’extérieur.
2) Le référendum constitutionnel
Nous y avons travaillé. Le code électoral a été renforcé pour faciliter l’organisation des referendums. Il ne reste plus que la volonté politique de l’organiser.
3) La reprise des municipales
En 2016, il n’avait été possible pour l’équipe Kéré d’organiser dans toutes les communes les élections municipales. A Karangasso Vigué, il y a même eu mort d’homme. En 2017, nous avons pu organiser ces élections complémentaires sans incidents. Elles se sont tenues à Karangasso Vigué et les populations autochtones ont accepté au final l’élection d’un maire non natif.
4) La révision du fichier électoral
Ce fut notre premier challenge. Réussir à enrôler des électeurs dans un pays qui ploie quotidiennement sous le joug des terroristes, avec des villages et des communs abandonnés, des provinces inaccessibles et désertées par les autorités administratives et politiques.
Enrôler dans un contexte de COVID 19, avec les mesures sanitaires restrictives, les entraves aux trafics internationaux qui compliquent les commandes de matériels et de consommables.
Nous avons commandé des KITS neufs pour fin janvier 2020. Nous les avons reçus finalement en fin avril. Il a fallu continuellement s’adapter et développer des trésors d’imaginations pour faire face.
Le processus a été conduit sur 7 mois, au lieu de 4, en restant dans le budget initial.
Les résultats furent exceptionnels, malgré le contexte. Nous avons battu le record de nouveaux enrôlés de toutes les précédentes révisions du fichier électoral. Nous avons même doublé le nombre de nouveaux enrôlés. La moyenne habituelle était de 600 mille nouveaux enrôlés. Nous avons porté le nombre à 1,2 millions de nouveaux enrôlés. C’était inédit. Dans certaines communes comme Djibo, Arbinda épicentre du terrorisme, nous avions enrôlé le double des révisions précédentes.
Enfin, l’audit international du fichier électoral a conclu que le fichier électoral était de bonne qualité avec une absence de doublons. Dans le fichier électoral hérité de 2015, il y avait jusqu’à 148 mille doublons.
5) Le scrutin couplé du 22 novembre
C’était pour certains Burkinabè, des élections impossibles. Les députés après plusieurs tournées à l’intérieur du pays, avaient recommandé le report des législatives.
Nous avons minutieusement organisé le scrutin. La révision du code électoral intervenu le 25 août 2020, à moins de 60 jours du scrutin, nous a compliqué encore la tâche. Mais l’organisation minutieuse que nous avions mise en place, a permis d’amoindrir les impacts, sans les éradiquer totalement.
Ainsi les bulletins uniques pour les législatives n’ont pas pu être achevés avant le 7 novembre. Cela a créé un dysfonctionnement dans la logistique sensible, le jour des élections. Certaines imprimeries n’ont pas pu finir l’impression à temps. D’autres, dans la précipitation ont mélangé les bulletins. Ainsi des bulletins de certaines provinces se sont retrouvés dans d’autres provinces. Mais nous avons pu réagir à temps et nous avons pu circonscrire à 98% ces dysfonctionnements.
Nous avons eu aussi des difficultés avec le PNUD qui tenait à acheter à notre place le matériel électoral. Nous avons catégoriquement refusé. C’est finalement le 15 octobre que le PNUD s’est résolu à mettre les ressources à notre disposition pour commander : les urnes, les isoloirs, les scellés, les lampes. Nous étions à moins d’un mois des élections. Nous avons pris nos responsabilités et en moins de 3 semaines avons acquis tout ce matériel. A titre d’illustration, pour les isoloirs, (2 par bureau de vote), nous avions besoin de 60 mille Isoloirs. Au regard des volumes, il était impossible de les acheminer par avion. Il a fallu recourir au train. Les isoloirs sont arrivés à Ouagadougou le 12 novembre. Leur déploiement aurait dû commencer le 4 novembre, selon l’agenda électoral. Idem pour les urnes, dont il a fallu à 72 heures du scrutin, demander le secours de la CENI du Togo, dans le cadre de l’entraide entre OGE, instituée par la CEDEAO.
A cela il fallait ajouter les exigences nouvelles instituées par la révision du code électoral du 25 août, prescrivant à la CENI de produire trois rapports circonstanciés à l’intention du Conseil Constitutionnel pour constater et acter les cas de force majeure provoqués par les terroristes.
Nous avons pu méticuleusement y faire face. Le jour du scrutin le 22 novembre, malgré ces difficultés, selon le constat de la CODEL, qui avait plus de 3000 observateurs sur le terrain, à 6h, près de 92% des bureaux observés avaient ouvert à l’heure. A 9H, 98% des bureaux avaient ouvert.
Il y a eu des réactions vigoureuses du CFOP et des organisations qui lui sont proches à l’énoncé des premiers résultats défavorables aux candidats de l’opposition. Mais avec l’intervention des bonnes volontés et de l’opinion publique qui se retrouvait dans les résultats proclamés, les choses sont vite rentrées dans l’ordre.
Le Conseil Constitutionnel a validé les résultats proclamés par la CENI à la virgule près et a déclaré que les élections aussi bien présidentielle que législatives étaient de bonne qualité. Les anomalies constatées par le juge constitutionnel ont conduit à annuler les résultats de certains bureaux de vote. Mais le juge a considéré que cela ne remettait pas en cause la sincérité des résultats.
Aujourd’hui, toutes les bonnes volontés reconnaissent que les élections couplées du 22 novembre étaient de bonne qualité. Elles ont permis de mettre en place les deux grandes institutions politiques de l’Etat, l’exécutif et le législatif. Il y a eu des députés élus dans les provinces où il n’y a plus ni Haut-Commissaire, ni préfets, ni maire.
Pour ces élections à risque, il n’y a pas eu une seule vie de perdue. Aussi bien par le fait terroriste que par les passions politiques. Nous en remercions infiniment Allah.
Amélioration des conditions de vie des travailleurs :
Une de nos préoccupations étaient aussi de voir comment être au côté du personnel de la CENI. Qu’est-ce que nous pouvions faire pour améliorer leurs conditions de vie, afin de mieux d’obtenir d’eux, un meilleur rendement.
Nous avons institué dès notre prise de responsabilité une DRH qui a eu pour mission de faire l’audit de la situation professionnelle des travailleurs de la CENI. Il s’en est suivi des propositions concrètes que nous avons implémentées.
Parmi ces mesures nouvelles, il y a eu l’institution de l’assurance maladie pour le personnel, leur conjoint et deux de leurs enfants.
Chaque année, depuis cinq ans, chaque travailleur de la CENI et les membres de sa famille sont assurés. Avec leur carte d’assurance maladie, ils peuvent se soigner dans toutes les cliniques et les hôpitaux agréés du Burkina Faso, en s’acquittant juste du tiers payant. Les deux premières années, la prise en charge était de 100 %. Puis il y a eu des abus ayant entrainé l’institution de tiers payant. La CENI est la seule de toutes les institutions publiques de l’Etat à offrir une telle couverture maladie à ses travailleurs. Le coût annuel de cette assurance en moyenne est de 60 millions francs CFA. Sur les 5 ans cela a nécessité la mobilisation d’environ 300 millions de francs CFA, en dehors du budget de l’Etat.
Conclusion :
Ce fut une expérience très exaltante. Il y a eu des difficultés et même des crises sérieuses. Mais au final, le bilan est digne d’intérêt. Nous avons montré et démontré qu’il est possible de gouverner les élections autrement.
Merci d’avoir pris le temps de nous lire.
Merci à ceux qui nous ont toujours fait confiance !
Merci aux Burkinabè !
Merci à toute l’équipe de CENI (commissaires et personnel technique)
Newton Ahmed Barry